Routes et mobilités : Viabilité hivernale : Plus de verglas moins de neige, le casse-tête

Yoyo des phénomènes météo, présence accrue de verglas. En période de viabilité hivernale, l’adaptation perpétuelle est de mise au sein des services des Routes.

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Au premier plan, une plaque de glace au bord d'une route. en deuxième plan, au milieu de la route bien noir, une saleuse du Département, feux allumée sillonne les routes afin de les sécuriser. Juste à côté, une fourgonnette du Département. Au fond des montagnes de taille raisonnable sont parsemée de neige. - Agrandir l'image, fenêtre modale
De la glace en bord de routes, du verglas sur la chaussée, les saleuse adaptent sans cesse leur intervention. ©Département des Hautes-ALpes / Stéphanie Cachinero

« On peut avoir du -10°C le matin, de la neige, puis du +3 et de la pluie l'après-midi. Et ça, c'est compliqué à gérer. La neige d'octobre à mars comme l'ont connu les anciens, c'est fini. » Pas besoin de remonter à Mathusalem. À ses débuts, « les pluies verglaçantes, c'était rare », se souvient Florian Bourcier, chef d'équipe d'exploitation basé au Centre technique (CT) du Queyras. « Maintenant, c'est récurrent. Il est d'ailleurs devenu impensable pour les agents d'intervenir sur le réseau secondaires queyrassin sans chaînes sur les engins de déneigement. » « Le symbole par excellence d'un changement », rebondit Xavier Contal, responsable de l'Antenne technique (AT) Guil Durance.

Un changement que ne sauraient dater avec précision les agents des Routes. « Peut-être 4 ou 5 ans, voire un peu plus », estiment plusieurs d'entre eux. Ce que confirme Gaétan Heymes, prévisionniste chez Météo France basé à Briançon, dont la base de données indique que le dernier gros hiver remonte à 2017-2018 dans les Hautes-Alpes.

Si on continue à « couper des bourrelets *» dans le Lautaret, dans le Queyras, « ça se fait de moins en moins. Les nouveaux, plus jeunes, ne savent même pas ce que ça veut dire », témoigne Florian. Autre temps, autres mœurs. Mais des mœurs toujours en cours d'évolution : « Chaque hiver nous apprend une chose différente », remarque Florian.

« De plus en plus de surprises lors des patrouilles »


De cette instabilité météorologique se dégage toutefois une tendance : des chutes de neige plus fréquentes mais de moindre quantité avec pour corolaire des phénomènes de verglas devenus légion, la rigueur militaire en moins. « Ils sont imprévisibles mais aussi invisibles. Il n'y a rien de plus dangereux et surtout de difficile à traiter », s'accordent les agents des Routes.

Quand on ne sait pas sur quel pied danser, on doit redoubler de vigilance et d'adaptabilité

Régis Philip, numéro 2 de l'Antenne technique de Briançon

L'incertitude règne au quotidien. Y compris dans le nord du Département, plus haut perché et donc plus froid. Même là-bas « on a de plus en plus de surprises lors des patrouilles du matin », assure David Clément, chef d'équipe fonctionnel au CT de Briançon. « Quand on ne sait pas sur quel pied danser, on doit redoubler de vigilance et d'adaptabilité. Ça ajoute forcément de la pression », note Régis Philip, numéro 2 de l'AT de Briançon.
Son de cloche identique, en plus basse altitude où « on s'adapte au jour le jour », explique Frédéric Philip, à la tête de l'AT de Veynes. Avec là aussi une constante, du verglas encore et toujours. Résultat : « Nous procédons de plus en plus au pré-salage pour éviter au maximum sa formation. »


S'il n'existe pour l'heure aucune recette miracle, une solution gagne du terrain au Département, l'usage de la saumure.
Pour autant, la versatilité de la météo n'a pas fini de questionner la viabilité hivernale haut-alpine et plus largement l'exploitation de la route.

Le verglas n'est, en effet, pas l'unique défi que doivent désormais relever les services : coulées de boue et chutes de blocs, parfois en masse, ne relèvent plus de l'ordre de l'exceptionnel. « Sur notre secteur, nous constatons aussi une montée en puissance de phénomènes extrêmes, notamment liés au vent. Ce qui nous obligent à multiplier nos interventions préventives de coupes d'arbres », renchérit Frédéric. Impossible de savoir ce qui attendra les agents des Routes dans les prochaines années. Mais le consensus scientifique semble exclure le retour des hivers d'antan.


*Technique consistant à écrêter la neige qui s'accumule en bordure de chaussée.


« Saler est un acte loin d'être anodin »

« Saler est loin d'être un acte anodin », rappelle Xavier Contal, responsable de l'Antenne technique Guil Durance. « La durée de vie d'une route en plaine est de 15 à 20 ans. Chez nous entre 10 et 12 ans », explique Xavier. Et si le phénomène de gel et dégel a une part de responsabilité, celle du sel et de la saumure est sans comparaison. D'ailleurs, les ouvrages d'art en prennent aussi pour leur grade au passage des saleuses, principalement au niveau de leurs parties métalliques. Les infrastructures ne sont pas les seules à subir les affres du sel, l'environnement aussi. Un constat de longue date : en atteste une question posée au gouvernement par un sénateur en février 2012 intitulée « Pollution par le sel de déneigement ». Raison pour laquelle le Département optimise l'usage du sel afin de maintenir la continuité de circulation. Ni plus, ni moins.


Que la force de la saumure soit avec les Routes !

Solution aqueuse à base de sel, la saumure est en passe de devenir le meilleur allié des agents des Routes, en période de viabilité hivernale.

La dernière a fait son apparition il y a quelques semaines au Centre technique (CT) de Briançon. La 5eme usine à saumure du Département*. En parallèle, des cuves de stockage commencent à essaimer. À commencer par le CT d'Aiguilles. Pourrait suivre, courant 2024, celle du CT de La Grave. Les premiers pas d'un déploiement qui devrait monter en puissance dans les années à venir.

Utilisable jusqu'à -12°C sous forme de bouillie

Pourquoi le choix de la saumure (utilisée dans les Hautes-Alpes sous forme de bouillie, mélangée à du sel en grain), arrivée dans les années 2008 dans le Département au CT de Pont-du-Fossé ? « Parce que c'est ultra efficace. Son action est beaucoup plus rapide », constate David Clément, chef d'équipe au sein du CT de Briançon. Bon, il est vrai qu'au tout début, elle n'a pas été facile à dompter. Mais depuis, les installations servant à la fabriquer ont été semi-automatisées, quant à la quantité de sel à apporter à l'eau.

Histoire d'éviter tout souci, « nous avons mis au point un système d'alarme lumineuse au niveau de la zone de chargement du CT d'Eygliers. Elle s'active si le taux de sel est en-dessous de 21-22 %. Les agents ne doivent, alors, pas charger leur unité mixe en saumure. Car en-deçà de cette teneur en sel, l'effet devient contreproductif en termes de lutte contre le verglas. », explique Patrick Bianchini, responsable de l'atelier nord de l'Agence routière départementale (ARD) veillant sur les usines d'Eygliers, Savines et désormais Briançon. Un garde-fou qui équipe, désormais dès leur livraison, les usines les plus récentes. Côté saleuses, du moins les dernières en date, les agents peuvent aussi compter sur un système intelligent, qui, grâce à des capteurs les aide à déterminer la quantité à épandre sur la chaussée.

Nous vérifions très régulièrement la salinité de la saumure

Florent, agent d'exploitation


Bien maîtrisée, l'efficacité de la saumure est sans commune mesure : efficience optimale à -2/-3°C, utilisable jusqu'à -12°C en bouillie. Mais qui dit, sel dit corrosion et fragilisation du matériel. Raison pour laquelle des mécaniciens de l'ARD formés aux rouages de pareille machinerie ne sont jamais très loin. Au-delà des réparations ponctuelles de ces usines, ils en assurent la maintenance et le nettoyage de printemps annuel : vidange de la cuve, raclage du sel récalcitrant, « check » des boîtiers électroniques pour assurer une salinité comprise entre 21 et 23 % (au-delà le sel cristallise et « encrasse » les tuyauteries).
L'ARD peut aussi compter sur les agents. « Nous vérifions très régulièrement la salinité. Il est aussi recommandé de passer à l'eau la partie où se fait le mélange eau/sel un fois par mois. On préfère le faire chaque semaine », confie Florent, agent d'exploitation au CT de Briançon. De quoi marquer l'appropriation grandissante de cet outil en devenir au service de la viabilité hivernale.

*CT de Pont-du-Faussé, de La Saulce, d'Eygliers, de Savines et de Briançon.


Des observations de terrain confirmées par Météo France

« On ne sait jamais ce qu'on va trouver le matin en patrouille. » Impression des agents des Routes ou réalité objective ?

« Les phénomènes météorologiques sont, de nos jours, plus irréguliers : il est de plus en plus fréquent d'avoir de la pluie en hiver à 1 500 m d'altitude. Ce n'est pas un phénomène inédit mais était bien plus rare par la passé », explique Gaétan Heymes, prévisionniste chez Météo France, basé à Briançon. En cause ? Le « réchauffement des températures », laissant une place toujours plus importante aux épisodes pluvieux. De quoi rendre « la problématique de la viabilité hivernale (VH) plus complexe », reconnaît le prévisionniste. Avec ces « hivers de plus en plus doux, il devient pour nous plus délicat de prévoir la limite pluie neige », confie le spécialiste.

« Nous ne savons pas à quoi ressemblera un hiver dans 20 ans. Seule certitude : La masse d'air se réchauffe

Météo France

De quoi exacerber l'impression des agents que les prévisions météo ne sont plus aussi fiables que par le passé. Malgré des « modèles météo ayant gagné en précision ces dernières années ». De la pluie ou de la neige ? Impossible à déterminer avec une marge d'erreur nulle. Sauf que parfois, à un degré près, la réponse VH ne sera pas du tout la même. De quoi obliger les Routes à plus de réactivité, à toute heure du jour et de la nuit.

De quoi demain sera fait ? Pas question pour Gaétan Heymes de jouer les Madame Irma : « Nous ne savons pas à quoi ressemblera un hiver dans 20 ans. » Seule certitude : « La masse d'air se réchauffe. S'il y aura toujours des températures proches de zéro et des chutes de neige, il faudra sans doute s'attendre à des phénomènes d'inondations en hiver, de gel et dégel. Et la récurrence de phénomènes extrêmes, type fortes pluies, sècheresse. » De quoi faire échos aux intempéries de début décembre.

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